Lofoten, pêcher aux leurres au-dessus du cercle Polaire

J’ai longuement hésité avant de planifier ce voyage en Norvège. Bon nombre de pêcheurs sportifs aux leurres trouvent d’ailleurs cette destination pauvre en intérêt halieutique et préfèrent à chaque fois pêcher autour de l’équateur.

Ce qui m’a réellement motivé de partir pêcher sous ces latitudes, c’est l’environnement exceptionnel et unique qu’offre le Gulf Stream. En quelque sorte, nous allions pouvoir pêcher une « anomalie » de la nature à un endroit où seuls banquise et froid glacial devraient régner en maître tout au long de l’année, rendant toute pêche aux leurres artificiels tout bonnement impossible.

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Ici tout est hostile, la vie est rude et les jours interminables à cette époque de l’année

Bienvenu en Norvège

Les côtes Norvégiennes sont belle et bien une exception, c’est à des milliers de kilomètres d’où nous sommes que ce courant émergeant des Bahamas prend vie, permet à l’eau de se réchauffer et ainsi d’apporter la vie. Au cours de notre séjour, nous ne pourrons pas compter le nombre d’espèces volatiles différentes observées (huitrier pie, eider à duvet, aigle pêcheur, fou de bassan, macareux moine, guillemots à miroir… ), ni même connaître un échantillon des espèces de la micro faune qui tapissent le fond. Ici, dans cette immensité, les insectes n’existent pas et les mammifères terrestres sont très peu en nombre (nous apercevrons quelques lièvres et lagopèdes), toute la richesse semble venir de la mer. Des baleines, des orques et des milliards de morues vivent ici dans ces fjords, ou quand la mer vient enlacer la montagne… Cette pauvreté terrestre laisse très peu de place à la culture et à l’élevage, la vie en Norvège est très chère et le budget essence/nourriture est loin d’être négligeable.

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Un air de jurrasic park au costa rica… avec un Macareux Moine au premier plan

La vie ici est à l’image des norvégiens, assez rude. Leurs montagnes sont aussi splendides que leurs cimetières sont simples. Ici le temps ne presse pas, à cette époque d’ailleurs, la nuit n’existe pas. Voir des employés du service routier travailler après minuit nous a surpris dans un univers où cela semble être la normalité. Nous passerons notre séjour sur l’île de Å, dans de simples Rorbus chauffés par des radiateurs qui ne peuvent compenser les chutes de températures quotidiennes et l’isolation désastreuse. En mai, les températures oscillent généralement entre 0 et 7°c, plusieurs jours nous pêcherons sous la neige, le température ressentie peut même dégringoler quand le vent passe au nord… mais le soleil est très lumineux et réchauffe assez bien les corps.

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Des rorbus, habitat traditionnel des pêcheurs norvégiens depuis plusieurs siècles.

A peine posés, nous devons déjà accepter les mauvaises nouvelles… La semaine s’annonce mouvementée et difficile, avec un fort vent tournant du sud au nord ouest… La Nature reste une femme capricieuse, j’ai trop tendance à l’oublier. En mai, il est en effet difficile d’être serein sur les conditions météo dans ces latitudes, le temps peut changer dix fois sur une journée. C’est donc déjà dans l’idée de limiter les dégâts que le guide nous invite à sortir en mer dès notre arrivée, les organisations scandinaves sont très pros et très rigoureuses, ici l’imprévu n’existe pas. N’étant pas pressés par la nuit qui ne tombe pas, nous pouvons donc pêcher « jusqu’à pas d’heures » ce premier jour. Notre guide se prénomme Martin, il est suédois de naissance. Assez réservé et discret, sa barbe cache un pêcheur humble et passionné dont le métier n’est vraiment pas évident, même par ces eaux poissonneuses. Il nous met rapidement à l’aise en nous faisant glisser une de ses playlists favorites sur le bluetooth de la radio à bord dont le fameux hymne de l’Halibut sans lequel nous serions repartis forcément capot ! Si j’ai l’habitude de profiter au maximum de l’environnement qui m’entoure dans mes voyages de pêche, je ne suis pas contre une ambiance musicale pour casser la monotonie marine.

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Les lofoten permettent de conjuguer pêche en mer et paysages époustouflants

La pêche aux LofotenLe schéma de pêche est assez simple, nous allons à l’extrémité d’une chaîne d’îles où la rencontre des différents courants crée un immense bouillon de plusieurs centaines de mètres de large où viennent se rassembler presque toutes les espèces de poissons. Il est 19h30 en ce premier jour, à l’aide de ma Trinis 664 XXH, déboussolé, je laisse sombrer dans les abysses du courant un slit shad 200 #061 colori Apple Mint monté sur une tête plombée de 140 grammes… Je n’ai jamais pris de gros poisson en milieu marin, je sais déjà que je vais prendre une claque… La sentence ne met que quelques secondes à tomber, je prends une violente touche par 40 mètres de fond et subit tout de suite le combat… « Bordel greg, je n’ai aucune idée si c’est gros ou pas, mais ça se défend comme une silure du mètre cinquante…« . L’orgie ne faisait alors que commencer… et pendant plus de 2h00 ce sera un mélange de panique, de mucus, d’odeurs plus ou moins douteuses se mélangeant au parfum de l’euphorie à bord… Lieus Noirs, Morues et Halibut, il ne manquera personne à l’appel dès les premières heures de pêche. La Norvège venait de nous souhaiter, à sa façon, la bienvenue.

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Le slit Shad 200 aura pris du poisson dans toutes ses déclinaisons

Nous étions parti dans l’idée que des plombées autour de 150 grammes suffirait à alourdir correctement nos leurres et nous nous sommes bien plantés. Le vent trop fort déplaçant constamment le bateau et les courants puissants balayant tout ce qui dérive, annulant presque la force de gravité terrestre, ont fait passer toutes nos plombées inférieures à 180 grammes pour du polystyrène… Sur ce séjour, la plombée idéale oscillait entre 200 et 300 grammes, un véritable défi physique de pêcher en casting sur des leurres pesant plus de 500 grammes plusieurs jours consécutivement. La solution à cette problématique fut assez vite trouvée quand les bras et le dos ne suivaient plus, il fallait tout simplement utiliser des jigs dont la forme et la densité permettent de traverser assez facilement les courants. A ce petit jeu, les Orion Jig 150 et 200gr se sont révélés de véritables atouts pour les pêches de quantité.

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L’orion Jig en 150 et 250gr m’a permis de prendre un grand nombre de poissons de toutes tailles

Le combo passe partout pour ce genre de destination pourrait s’apparenter à un moulinet de taille 8000 ou 10000 couplé à une Mitsio Jigging en 80 livres ou 70 libres en casting pour un plaisir accru. En effet ici le surplus bagage en soute coûte un bras et les cannes travel allègent considérablement la facture finale, comptez plus de 150 euros pour faire venir un tube de cannes sur les lofoten… Inutile de venir ici avec de la tresse de boucher, une petite PE4 voir 5 bien costaude suffira amplement. Rares sont les spots encombrés où les poissons pourraient vous casser, nous montons tout de même toutes nos lignes sur du gros fluoro pour pouvoir saisir le bas de ligne à la main une fois les poissons en surface. De mon côté, le pêcheur d’eau douce dans l’âme que je suis, se sera buté à tenter ces féroces poissons sur du matériel light comme une Shinjin Neo Travel 664 XH qui s’en sera pourtant carrément bien sorti avec plusieurs poissons autour de 8 kg ! Faut il encore tenir physiquement une dizaine de combats à la suite sur du matériel si léger.

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Peut être le seul aiglefin de ma vie, capturé dans un cadre somptueux

J’ai eu cette impression que c’était l’enfer dans ces eaux, tout le monde mange tout le monde et presque aucune espèce ne reste végétarienne, une caractéristique déjà observée lors de l’un de mes voyages en Amazonie, la nature dans toute sa cruauté qui la caractérise. Les poissons de loin les plus en nombre à cette saison sont les Morues (Cod Fish), elles sont un peu les éboueurs des océans et dévorent tout ce qui peut rentrer dans leur gueule. Quelques instants sans touche ? Il suffit de descendre son leurre sur le fond et une morue ne tardera pas à lui faire sa fête. De part le nombre démentiel de morues capturées, rapidement nous nous écarterons de cette pêche de facilité.

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La rencontre des courants à marée basse et montante est annonciatrice d’orgies halieutique

La vraie bonne surprise de ce séjour restera sans conteste la capture de nombreux lieus noirs (Coal fish). Espèce pélagique, ils n’hésitent pas à dégommer votre leurre avant de faire chanter le frein de votre moulinet. Le plus dur dans cette pêche c’est de trouver leur situation ainsi que leur hauteur de nage, on pêche facilement soit à côté, soit au dessous soit trop au dessus d’eux, la qualité de la dérive et le positionnement du bateau font presque tout. Il faut alors compter sans cesse pour se situer à la bonne hauteur : soit les secondes pour couler au fond, soit le nombre de tour de manivelle une fois posé au fond. C’est de loin la pêche la plus technique que nous avons pratiqué en Norvège et il est assez facile de passer à côté. Une fois la capture d’un lieu noir réussie, on peut alors se délecter de leur magnifique robe sombre et de leur morphologie taillée comme une torpille…

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Avec ces faux airs de sériole, le lieu noir est sans conteste le poisson le plus « sportif » aux lofoten

Les pêcheurs chanceux pourront aussi avoir la surprise de capturer un Loup de l’atlantique (Wolf Fish) ou encore un Aiglefin (Haddock), une capture qui n’a d’intérêt que par son côté diversifié. Il est ensuite possible de faire d’autres espèces mais dans des profondeurs bien plus conséquentes qui me semblent peu compatibles avec une pêche aux leurres ludique. Étrange combat que celui d’un Loup de l’atlantique… et une fois à bord il n’a qu’une seule obsession, vous mordre ! Le guide me précise bien qu’un doigt mal placé dans les ouïes serait pulvérisé par la mâchoire surpuissante de ce poisson amateur d’oursins et de crustacés…

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Je pensais que ce poisson faisait parti de la famille des murènes, mais non il est une famille à lui tout seul, les Anarhichadidae

Le grand maître du fond ici est pourtant assez étrange puisqu’il est plat comme une plaque d’égout avec une gueule digne d’un bulldog… Il s’agit bien évidemment de l’Halibut ou encore appelé flétan chez nous. On pourrait penser que ce poisson est préhistorique dans con comportement et pourtant il est bien plus rusé qu’il ne le laisse penser. Sa technique ? Rester planqué au fond puis monter sur une proie quand il la repère. Quand on dit « monter » on parle ici de plusieurs mètres voir plusieurs décamètres ! Alors on se dit que s’il fait le voyage d’aussi loin, ce n’est pas pour conter fleurette à votre leurre… et bien c’est tout le contraire ! Des poissons largement métrés viennent régulièrement inspecter votre montage voir le goûter discrètement tout aussi en finesse que pourrait le faire un sandre, c’est assez bluffant. De part ce comportement très prudent, le nombre de grands Halibuts capturés aux leurres reste très faible et les trophées sont presque tous capturés à la viande. Je pense que sur le séjour, 60% des touches d’Halibut aux leurres n’ont pas pu être concrétisées… Nous avions pourtant positionnés nos stingers très loin en arrière de nos shads à caudale et à virgule. Aujourd’hui avec un peu plus de recul, je pense qu’il faut positionner le triple voleur carrément sur la caudale !

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Combat avec un Halibut sur un ensemble lourd en casting, ici personne ne pêche en « left handle », le bras de force est celui qui rebombine , une des erreurs que nous avons commise.

Ne pêchant qu’aux leurres, sur le papier je partais donc déjà avec de grandes chances de ne pas faire un grand halibut et c’est ce qui se passera. Je pourrai toutefois profiter d’un combat musclé sur un sujet combatif de 90 centimètres qui m’aura carrément bluffé par sa puissance. D’après le guide, le record du camp est à 240 centimètres pour un combat d’1h40… Je n’ose imaginer la souffrance que peut procurer un tel combat. En fait le poisson se sert tellement de son envergure qu’il est presque impossible de le pomper énergiquement tout en le fatiguant, il faut alors pomper sur des courtes amplitudes tout en moulinant. Le dos ainsi que les bras s’en retrouvent grandement soulagés.

 

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Un petit Halibut des Lofoten, un poisson déjà capable de se défendre plus qu’honorablement

La législation est assez stricte sur la pêche de l’Halibut, seuls les sujets entre 80 et 140 centimètres peuvent être prélevés. Dans un souci de protection du patrimoine, les gros poissons non prélevés ne peuvent être sortis de l’eau, il faut alors enfiler une combinaison adéquate et se mettre à l’eau pour revenir avec une belle photo. Tous les sujets capturés seront mesurés et les sujets métrés seront bagués. D’après le guide, d’une année sur l’autre il s’est déjà reprit plusieurs poissons qui grandissent seulement de quelques centimètres par an.

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La toise Sakura facilement transportable et le baggy bag 55 litres m’auront été grandement utiles

Je ne regrette absolument pas d’avoir fait cette destination, délaissée par bon nombre de français et pourtant si populaire en Allemagne et en Suède… Pêcher dans un cadre d’exception valait à lui seul le déplacement, la richesse halieutique de ces eaux fût la cerise sur le gâteau. Il semblerait que la pêche change considérablement l’été et que les lieus noirs pullulent alors partout et qu’il devient envisageable certains jours de les prendre aux leurres en sub-surface voir surface…

 

Je tiens à remercier mes compagnons de mucus, à commencer par Greg pour sa bonne compagnie sans fioriture… puis tout particulièrement Franck qui a géré d’une main de maître la plupart de l’organisation. Alors pourquoi pas y retourner un jour par des températures plus clémentes ? Ne jamais dire jamais !

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Never say never ! Slit Shad for ever !

 

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So many fish, so little time…

Joss’